Texte 8 - JE selon GODOT

Le jour où je suis arrivée, un écrivain pensif trônait sur la bannière, avec une machine à écrire et un décor un peu incertain mais qui m'a évoqué l'auvent d'une terrasse. Kessel écoutant les échos de la brousse. Les JE guettant les bruissements du Web. Il m'a intimidée, d'abord, cet écrivain sur la bannière. Puis il est devenu une part de moi. Peut-être était-ce le premier symptôme de ce j'avais été atteinte par la JEite.
Maladie grave, docteur ?
La JEite, en tous cas, est une affection fréquente, sur ce forum. A quel point ? Il faudrait sans doute faire un sondage. Plusieurs, même. Faire appel à des spécialistes, peut-être. En l'absence d'étude approfondie, nous dirons qu'elle se manifeste par une alternance entre la frénésie d'écrire, celle de lire et celle de s'amuser avec les mots. On dénombre quelques cas plus aigus que les autres, mais comme dit l'autre, quand c'est aigu, c'est pas grave. Et quand c'est grave ? SOS, crayonbuster.
Quand je suis arrivée, j'ai été « homme invisible », comme tout le monde. J'ai fait connaissance avec les règles et petites habitudes des diverses sections. C'était compliqué. Arriver sur un forum, c'est un peu comme être nouveau à l'école. Puis j'ai été moins nouvelle. J'ai pris des habitudes. Je me suis sentie bien sur JE. Chez moi.
Comme devenue l'un de ces JE qui, à mon arrivée, m'intimidaient tous un peu.
Tous ces écrivains pensifs assis devant leur clavier, comme celui de la bannière. Il n'est plus là, me direz-vous, celui de la bannière. Le style a changé. Les JE sont toujours assis devant leur clavier (sauf ceux qui viennent sur le forum debout dans l'autobus et avec leur téléphone).
Petit à petit, JE change.
Et en même temps, il reste le même.
Surtout pour ceux qui se laissent atteindre par la JEite.
Un endroit où se rejoignent les claviers de tapoteurs mélancoliques... Ou pas mélancoliques, d'ailleurs ! Les enthousiastes, les grognons, les curieux... Il y en a pour tous les goûts. Tous avec les doigts englués dans le clavier et piqués au crayon.