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Le  Mag Jeunes Écrivains
21 août 2015

Concours d'exraits : la gagnante de la session 37 !

Concours-ExtraitsDivaju, a gagné ce concours qui avait pour thème « Métaphore ». L’extrait de sa nouvelle « La logique du crabe » a reçu 10 cœurs et 1 demi-cœur sur 17 votes.

Le sujet traité était délicat : le cancer. Mais elle parvient à le raconter avec une particularité qui lui est propre. Pour moi, elle a  rendu la maladie humaine, lui a donné un visage qui apporte un côté presque amical à leur rencontre. J’ai trouvé cet extrait horriblement bien écrit et suis encore une fois bluffée par sa manière de dépeindre l’horreur. Envie de découvrir son talent ? Voici son extrait :

Assis sur une chaise au bord de la fenêtre, le vieil homme soupire au-dessus d’une lettre. La fatigue le pèse et le temps le presse, il voudrait mettre sur papier cette horde de pensées qui s’agitent en lui. Comme une dernière mission. Comme un dernier espoir. Laisser un peu de lui. 

Laisser un peu de lui, sans moi. 
Je suis apparu dans son foie comme un embryon apparaît dans le ventre de sa mère. Tout comme lui, j’ai prévenu de mon arrivée en amenant avec moi quelques symptômes. C’est ma manière d’être poli. Cela fait un peu plus d’un an qu’il m’enfante maintenant. Malgré lui. Il a voulu avorter de moi, à coups de rayons invisibles mais sacrément agressifs. Une sorte de milice de la tumeur. J’ai trouvé cela assez drôle. Et mignon aussi. Faire une fausse couche d’un cancer. Il m’a vraiment confondu avec un fœtus. J’ai voulu jouer également. Parce que je suis joueur et un peu susceptible. J’aime bien avoir le dernier mot. Après le foie, j’ai envahi la vessie, les poumons et les os. On m’a opposé un véritable arsenal de guerre. Puis plus rien. J’ai été le plus rapide, le plus fort. J’ai gagné le droit de rester, de m’installer définitivement. 
J’en suis bien content. J'aime les victoires. 
Dans le corps de mon vieil homme, j’y grossis comme un bébé, quoique peut-être un peu plus vite. Je l’épuise, l’affaiblis. Mais sa main ne recherche pas mon contact. Il me hait. Moi je l’aime bien mon vieux. Je me suis attaché à lui. Puis il me fait de la peine aussi. Alors j'ai décidé de lui faire un cadeau. Pas un cadeau de politesse cette fois, mais un vrai cadeau. Un cadeau de sympathie. Je vais me taire un petit peu. Je vais le laisser écrire sa lettre puis discuter avec Dieu. Je ne sais pas qui est ce Dieu (un ancien camarade de guerre ? un instituteur ? un médecin ?) mais il l’aime bien. Je me rends compte que mon vieux, à part ses viscères, je ne le connais pas vraiment bien. 
Puis quand il aura fini, quand sa lettre sera cachetée et son monologue terminé, quand les rayons crépusculaires du soleil viendront tendrement lécher la tapisserie vieillie de son salon, dans une dernière contraction, je le ferai naître à la mort.

Divaju, peux-tu nous en dire plus sur cette nouvelle ?
« La logique du crabe» a été écrite dans le cadre de la Roulette Russe, l’une des toutes premières couvertures. Le titre m’avait attirée tout d’abord pour ce que le « crabe » évoquait pour moi, ensuite pour la perspective à laquelle il invitait. 
L’idée du cancer n’est pas née ex nihilo mais d’une réflexion déjà existante sur cette maladie — son intelligence, sa force, ses mystères, sa pluralité, son traitement, sa méconnaissance dans une société caractérisée par le progrès scientifique et médical — pour avoir eu à la vivre de près : ma mère, cancer à non petites cellules du médiastin (partie située entre les deux poumons), diagnostiqué l’année de ses cinquante ans. Elle en décèdera dix-huit mois plus tard. 
En tant que proche, on vit la maladie de l’extérieur. À l’extérieur de la personne malade (notre propre corps va bien) et à l’extérieur de son traitement, les médecins ne divulguant que très peu d’informations tout au long du traitement (et même au moment du décès), notamment parce qu’ils ne savent pas grand-chose. Ils ne savent pas pourquoi la tumeur se métastase alors qu’elle est aussi petite, ils ne savent pas pourquoi le patient à telle ou telle douleur, ils ne savent pas pourquoi la tumeur un coup rétrécit puis, le scanner suivant, se remet à grossir alors que le protocole n’a pas été changé, ils ne savent pas pourquoi ils trouvent du tissu sain quand ils pensaient trouver du tissu infecté, alors ils ouvrent une fois, deux fois, puis trois ; et ils s’en étonnent encore. Alors ils projettent une quatrième hospitalisation pour ouvrir une quatrième fois au même endroit parce que ce n’est pas normal quand même. Jusqu’à ce qu’un autre médecin mette son veto. Oui, parce que « cancer » et « cobaye », ça ne fait pas que commencer par la même lettre. Parfois, ça revêt la même signification. Enfin, ils ne savent pas pourquoi la personne meurt aussi vite, ni de quoi (parce qu’on ne meurt pas directement du cancer mais de quelque chose qu’il a provoqué : rupture d’anévrisme, crise cardiaque, etc.). 
C’est pour tout cela que j’ai voulu me mettre du point de vue de la maladie et que j’en ai fait un personnage très cynique et ambigu. À la fin de la nouvelle, il veut faire mourir son vieillard, non pas pour le plaisir de le faire mourir, mais pour le libérer quelque part. Le libérer de sa souffrance et lui donner un repos, une délivrance que notre médecine si « évoluée » n’a pas réussi à lui donner. Donc derrière le côté un peu glauque de l’idée et de la narration, il y a clairement une critique, une raillerie qui cache à peine ses dents. Aujourd’hui, on ne sait soigner que les cancers précoces, voire même très précoces. Problème : les formes débutantes sont généralement asymptomatiques, parfois (souvent) non détectables par nos outils de prévention et (je trouve qu’)il y a une grande indifférence de la part du corps médical face à l’inquiétude du patient qui veut des tests plus poussés, qui a des questions, des angoisses et qui ne consulte pas seulement parce qu’il a vu sur Doctissimo que faire un pipi jaune coquille d’œuf était éventuellement un signe de cancer du poil pubien n°843. J’invite les gens à regarder le sketch de Dieudonné sur le cancer. Que l’on aime ou pas le comique/l’homme, sur ce thème-là, il est d’une parfaite et effrayante justesse. J’ai retrouvé mon histoire dans la sienne. J’invite également les gens à se faire dépister régulièrement, quelque soit leur âge, de ne pas hésiter à insister pour faire telle ou telle analyse, à avoir telle ou telle explication. Nous sommes tous propriétaires de nos corps, ils nous appartiennent, nous vivons avec eux et ils vivent avec nous, il est donc normal de vouloir savoir et comprendre ce qu’il s’y passe. Et la compétence du médecin se trouve dans la médecine, pas dans la moralisation.
Pour finir sur ce point-là, j’ai envoyé cette nouvelle à un concours en 2014, qui a obtenu le premier prix de prose poétique. Lors de la remise de prix, il est généralement de coutume de lire son texte devant tout le monde. À la dernière phrase, j’ai entendu des gens s’exclamer, parce qu’ils étaient touchés, remués au point qu’à la fin de la cérémonie plusieurs d’entre eux sont venus me voir pour me féliciter et me donner leur soutien face à cette expérience que j’avais vécue.

Que t’ont apporté les commentaires des JE ?
L’affirmation que mon texte était vraiment glauque (d’autant plus glauque que ma métaphore mettait en parallèle la maladie et la grossesse) et que je touchais un point très sensible ! Enfin, certains m’ont fait comprendre que j’aurai pu aller plus loin dans l’image, plus exploiter l’appellation du « crabe » (Akë) et aller plus loin dans la réflexion (Joyo). Leurs remarques m’ont vraiment plu et je suis en train de réfléchir à peut-être développer un peu plus le sujet, ne serait-ce que pour aller au bout de ma critique (et de ma revendication quelque part).Klik-Asyne

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