Ahava refait le film: Noël chez Kubrick
L’intro qui introduit :
Décembre frappe aux fenêtres et avec lui nombre de rituels.
Comme chaque année, au moment où baissent les températures et où la France s’enthousiasme du retour la Sacro-sainte raclette ; que les pulls moches envahissent les rayons ; que ton voisin accroche ses pauvres guirlandes au balcon quand toi tu te demandes où tu as bien pu ranger les tiennes ; que tes amis Facebook semblent s’être tous passé le mot pour visionner Love Actually ; tu t’impatientes de recevoir en pleine face la magie de Noël. Tout feu, tout flamme, tu es prêt à dégainer ton téléphone pour immortaliser la première tombée de neige, tout comme tu frétilles à l’approche du Black Friday, ce vendredi noir qui fait trembler ta carte bleue au fond du portefeuille.
Bref, Krissmeuss dans toute sa splendeur.
Et c’est pour faire honneur à cette magie que je te propose de mettre tes plus belles chaussettes, d’attraper un chocolat chaud, une tablette de Lindt, et surtout, d’ouvrir grand les yeux, pour une virée au sein de mon film de Noël chouchou, j’ai nommé :
EYES
WIDE
SHUT
(J’imagine déjà ta gueule de morue blasée, et crois-moi, ça me fait rire)
Postulats de départ :
— Si tu veux une vraie analyse de ce bijou qu’est Eyes Wide Shut, tu en trouveras plein sur le net, la mienne est là pour divertir.
— Oui, Eyes Wide Shut est un film de Noël, au même titre que Die Hard. (Mais évite de le visionner devant tes enfants, parce qu’il va falloir leur expliquer des « trucs » après…)
— Je vénère sincèrement ce film.
Eyes Wide Shut : de quoi ça parle ?
D’un couple qui a tout pour être heureux ; ils sont beaux, riches et épanouis.
Ce bonheur n’est pas remis en question dans le film. Ce qui est remis en question, c’est la supposée confiance que l’on a envers son partenaire, qui peut sembler objective, rationnelle, mais qui n’est le résultat que d’une projection, d’une idéalisation.
Bref, à force de prendre les choses trop pour acquis, on en oublie que l’autre n’est pas un meuble IKEA, qu’il nous échappe, et qu’au fond, c’est pas la mer à boire.
(Bien sûr, comme Tom Cruise est un con, il va nous en chier une pendule pendant deux heures)
Acte I : L’élément déclencheur qui déclenche les choses
Tom Cruise et Nicole Kidman, riches et heureux, se rendent chez d’autres gens riches et heureux à l’occasion d’un bal de Noël. Binouze, robes de créateur et fabuleux smokings sont au rendez-vous. Tom et Nicole se séparent et c’est dans ce décor féérique que tous les deux vont se faire draguer et que, flattés, ils vont se laisser prendre au jeu. Nicole se laisse envoûter par un hongrois sombre et mystérieux. Tom joue les coqs avec deux splendides mannequins.
Malgré ces instants délicieux, presque hors du temps, Tom et Nicole reviennent chacun à la raison. Tom est rappelé à son devoir de médecin en soignant dans l’urgence une victime d’overdose, Nicole se souvient qu’elle est mariée et comprend que l’alcool, décidément, c’est à boire avec modération.
Le rêve prend fin, ils regagnent leur appartement, leur quotidien, leur réalité, qui, sans être dégueulasse, s’avère comme toutes les réalités; chiante. Tom enchaîne les consultations, palpe des seins avec ennui, tandis que Nicole s’occupe de sa fille. Avec ennui, là aussi.
Un soir, ils décident de fumer un joint pour se détendre. Parce que tout le monde fait ça, après tout.
C’est dans ce contexte un peu nébuleux, ce contexte où la conscience est altérée, sujette à des flottements, que la dispute éclate.
Motif ? Nicole trouve que Tom est un peu con, un peu naïf.
Bien sûr qu’elle fantasme sur d’autres hommes, bien sûr que sa libido crépite comme le Vésuve prêt à engloutir Pompéi !
Acte II : celle où Tom veut absolument tremper son biscuit
Tom a le seum sévère. Il se rend compte que sa femme n’est pas celle qu'il croyait.
C’est un appel téléphonique qui le sortira de sa torpeur. Un de ses patients est décédé. Sur ce, Tom s’en va et débute pour lui une nuit surréaliste. Une nuit où rêve et réalité se juxtaposent pour ne faire qu’un.
C’est au cours de cette nuit que les fantasmes refoulés de Tom vont se décliner à l’infini.
Alors, ouais, d’un point de vue de spectateur, tu te dis qu’il est sacrément chanceux de voir autant d’opportunités s’offrir à lui, mais n’oublie pas qu’il est fort probable que Tom soit en train de rêver, voulant se réapproprier à tout prix la libido de sa femme, cette libido qui lui échappe et fout un sérieux coup à sa virilité de mâle.
Tandis que Tom atteste du décès de son patient, la fille du monsieur, supportant mal le deuil, lui avoue son amour et lui roule une pelle. #Tranquille
Tom ne la repousse pas, puisque c’est son fantasme. Un fantasme narcissique s’il en est puisque le fantasme de Tom est d’être justement transformé en objet de fantasme (ce que sont les docteurs, n’est-ce pas ?)
Tom s’en va, parce que bon, c’était sympa, mais faut pas oublier qu’un père de famille vient de passer l’arme à gauche. Laissant les proches du monsieur s’accommoder de leur deuil, il s’en va déambuler dans les rues de New York. Ses errances dans les rues obscures et glauques de la ville représentent les errances de sa propre conscience.
Tom a le seum, j’te dis.
C’est là qu’il croise la route de Domino, une prostituée qui l’invite chez elle, parce que c’est ce que font les prostituées. Tom désire furieusement tremper le biscuit, donc il accepte.
Mais bien sûr, Nicole l’appelle, inquiète de ne voir son mari point revenir, et le fantasme s’évente. Tom, confus, remet son manteau et plonge une nouvelle fois dans les rues de New York. Il rentre dans un bar et rencontre un vieil ami de fac, devenu pianiste. Celui-ci lui confie qu’il doit performer dans un autre endroit. Un endroit mystérieux, tenu par des individus mystérieux. Le biscuit de Tom se durcit sous la curiosité, il veut en savoir davantage. Malheureusement, le pianiste n’en sait pas tellement plus. Des gens en costume fricotent avec de belles meufs et pour accéder à cette forteresse des plaisirs, il faut un mot de passe, qui est le suivant : FIDELIO.
Tom est au taquet et se procure dans la foulée une cape et un masque. Histoire d’être dans l’ambiance.
On passe brièvement sur le fait que la fille du vendeur surgit telle une nymphe, tombe dans les bras de Tom, et lui fait des avances que le spectateur n’entendra pas, mais qu’il pourra s’imaginer à loisir. Après tout, c’est le thème du film. Le rêve, le fantasme, l’imagination.
Acte III : Venise Bitch
Tom arrive aux portes du Manoir mystérieux (tenu par des gens mystérieux, je le rappelle).
Nous touchons au point culminant du récit. La scène pivot qui met en scène LE fantasme dionysiaque, sauvage et raffiné, opulent, brut, étrange (et tout et tout), se dévoile sous nos yeux curieux.
Tom assiste à une drôle de cérémonie qui semble flirter avec les codes du Christianisme et du Satanisme. Grosse ambiance quoi.
En dépit des mises en garde, Tom restera comme hypnotisé par ce qu’il y découvrira, fasciné par le spectacle qui se joue devant lui.
Évidemment, il va se faire gauler.
Quand la foule se rend compte que Tom est un intrus
Et qui ma foi, semble totalement en liesse…
Tom repartira penaud et éconduit face à ce cercle d’initiés qui le rejette, éconduit face à son propre fantasme qui n’est que regardable, mais pas réalisable. Bref, Tom a les boules, parce que Tom ne comprend pas.
Acte IV : le retour à la réalité
À partir de là, le film revêt les apparats du thriller. Tom flippe. Qu’a-t-il vu ? Est-il en danger ?
Le jour se lève, gris et morne. New York semble avoir la gueule de bois.
Tom décide de rendre visite à son ami pianiste (alias, celui qui l'a foutu dans cette merde). Hélas, son pote est introuvable.
Tom ravale sa salive et s’occupe de retourner son costume (celui qu’il a loué pendant la nuit). Tout ce qui lui est apparu comme presque merveilleux, doux et féérique la veille, devient soudainement laid.
La nymphe se prostitue pour le compte de son père (les temps sont difficiles, même pour les vendeurs de costume).
Domino, la charmante Domino, a le sida.
L’inconnue masquée de la fête orgiaque est retrouvée morte après avoir succombé à une overdose.
Ce n’est pas tant que cette réalité n’existait pas la veille, mais plutôt qu’elle a été effacée par l’imaginaire de Tom (qui voulait tremper son biscuit, je vous le répète).
Et comme si cela ne suffisait pas, Tom se sent épié.
S’en suit des dialogues plus ou moins longs. Tom erre de nouveau dans les rues de New York et cours après un rêve qui n’est plus et qui n’a peut-être jamais été. Le jour a tout emporté avec lui. Il ne reste que la déception et les interrogations. Le masque qu’il pensait avoir perdu réapparait dans le lit conjugal comme pour le narguer.
Parce que le masque est moins con que Tom. Il voit ce qu’il n’a pas vu ; Tom a déserté le lit conjugal. Là est l’une des ironies majeures du film ; Tom se cherche, mais Tom ne se trouve pas. Et plus il se cherche, moins il se trouve. Sauf qu’il n’y a rien à chercher, rien à trouver.
Tom commence à comprendre et avoue tout à sa femme. Mais qu’est-ce qu’il avoue en fait ? On ne le saura pas puisque la conversation ne sera pas retranscrite à l’écran, ce qui laisse encore une fois planer le doute sur ce qui s’est réellement passé cette nuit. Nicole pleure, Tom pleure, tout le monde pleure.
Rattrapés par le devoir parental, Tom et Nicole s’en vont faire leurs achats de Noël en compagnie de leur fille chérie.