Chronique d’Ahava : l’art de crever en douce sans (trop) emmerder le monde
L’arthrite, nouvelle tendance de l’été
Quand Aurore Py fait un doigt d’honneur au jeunisme :
On dira ce qu’on voudra, mais notre société réserve de moins en moins de place aux vieux. Et c’est vrai que des visages ridés, des genoux cagneux, des seins en gant de toilette, et des dents jaunies, ce n’est pas forcément ce qui se fait de plus swag sur le marché.
Que tous ceux qui sont dans la vibe lèvent le doigt!
Aurore Py fait fi des attentes de la littérature (du moins celle qui se vend). Aurore py n’a pas froid au ventre. Notre auteur fout au placard les vierges énamourées avec un penchant pour les fouets et les boules de geisha, les célibataires trentenaires un peu godiches qui rêvent d’amour et d’eau fraîche de gin-tonic, tout comme elle vire les femmes accomplies qui héritent d’une grande maison renfermant un grand et pas si terrible secret (sinon, ça ferait fuir les lectrices romantiques).
Aurore Py n’écrira pas non plus un polar avec un policier alcoolique qui se voit retirer l’enquête au prétexte qu’il en fait une affaire trop personnelle. Elle n’écrira pas non plus une épopée médiévale avec des dragons, un nain dépravé, et un trône en fer forgé. Et elle écrira encore moins un thriller conspirationniste avec un professeur en symbologie-archéologie-whatever capable de ken une meuf différente à chaque nouvel opus. Non, Aurore Py te propose un menu composé d’arthrite, de cheveux blancs, de mains tremblantes, de peaux flétries et de déambulateurs. Et pas n’importe où, je vous prie. En Alsace. À Schiltigheim. Ce sera L’art de vieillir sans déranger les jeunes, paru aux éditions de l’Aube en mai 2017.
« On va tous crever de toute façon » :
Aurore Py ne va pas te mentir, la vieillesse c’est pas Byzance. Et elle te vend tout l'art subtil de la sénéscence sans concessions : « Si l’on cherche encore des avantages au grand âge, en voilà un majeur : on perd de la masse graisseuse, comme ça, par magie. Pour peu que l’on passe au travers d’un diabète de type 2, on peut ainsi s’empiffrer de ce que l’on veut. »
#Génial
Mais elle te rappelle, le sourire large et l’œil malicieux, que quand ton activité principale se résume à mourir sans faire chier les enfants et les petits-enfants, tu peux aussi passer le temps en formant un squad avec les copines presbytes et à baver sur les autres, te mêler de ce qui ne te regarde pas, et donner ton avis sur tout. Oui, être vieux te donne le droit d’être chiant et abominablement acariâtre.
L’Abécédaire : leur mission, leur destin
A comme Adèle, B comme Beatrix Lestrange, C comme Céleste et D comme Debbie (sauf que ce n’est pas son vrai prénom). Ce sont les héroïnes d’Aurore Py. Et dans le bizz on les nomme l'Abécédaire. Si les Avengers sauvent le monde, l’Abécédaire s’emploie à t’expliquer les do’s et les don’ts d’une visite réussie en maison de retraite. Entre manuel scolaire et guide touristique, le roman que nous propose Aurore Py vaut franchement le détour.
L’art de vieillir sans déranger les jeunes, morceaux choisis :
« Tu n’as jamais remarqué ? Dans les familles où il y a plusieurs enfants du même sexe, on note parfois une inflexion à partir du troisième enfant. On sent que les parents ont perdu de l’inspiration, ou qu’au contraire, ils se lâchent complètement : après deux prénoms assez conventionnels, on a quelquefois un troisième qui vient d’une culture étrangère, ou un truc fantasque, voire une création. Au mieux, ça dévie, au pire, ça déraille. Ainsi : Pierre, Jean et Thélonious. Mais Beatrix aussi peut témoigner, son fils à trois fillettes : Laure, Élise et Naïma. Là, ça surprend, mais ça reste joli. Chez les petits-enfants de Céleste, par contre, on demeure perplexe avec le lot suivant : Christian, Armand et Kirk »
« Amalia a voulu me faire visiter l’EHPAD. Elle a ses entrées partout, des cuisines à la morgue. »
« Tu sais que je connais tous les vieux de la place ? Du deuxième au quatrième étage. Du mignon à l’effrayant. Du caractériel au dépressif. De l’exhibitionniste au cataleptique. Du sémillant au branché de partout. De l’hypermnésique à l’Alzheimer le plus ultime. Ce que j’ai vu à mon âge suffirait à effrayer un contingent de quinquas hyperliftés. Ce que tu vas me dire, je l’ai probablement déjà entendu. »
Les « like » d’Ahava :
— La couverture que je trouve très bien réalisée, attrayante et sobre en même temps.
— Les insultes en alsacien. Mention spéciale à "l'excroissance de chromosome Y"!
— Un quator de petites vieilles adorables, authentiques et gentiment barrées qui m’ont fait penser aux Vamps à bien des égards.
— Un style solide et un humour qui transpire à chaque ligne.
— Les notes en bas de page qui s’adressent habilement au lecteur.
En bref, L'art de vieillir sans déranger les jeunes, c'est:
— Un style littéraire propre à la littérature blanche.
— Du second degré.
— Un feel-good avec des morts dedans. Infarctus, infarctus, tralala!
— Une croisière. C'est le syndrome Grimaldi ou merde ?
— Le cadeau idéal pour ta grand-mère (surtout si tu envisages de la foutre en maison de repos à la rentrée prochaine)
L’avis perso qui n’engage que moi :
On va être honnête deux minutes. Le roman est bon et clairement, Aurore Py peut aussi se vanter de savoir écrire. On oscille entre un phrasé exigeant, littéraire, parfois un tout petit peu gouailleur, mais toujours drôle et accessible. Ce n’est pas un style que je qualifierai d’épuré, mais l’auteur ne tombe pas non plus dans le piège des phrases ronflantes qui ne veulent rien dire. Bref, il y a de la technique.
Voilà, ça c’était pour le côté positif.
Maintenant, moi, je n’ai pas été emballée par l’histoire. Alors certes, le roman rendrait presque la vieillesse cool et je me suis quand même bien marrée. Mais j’avais aussi l’impression de m’enliser dans une lecture dont je n’avais pas spécialement envie de connaître la fin. Ce n’est pas un page-turner, voilà. En même temps, il n’y a rien de mal à ça. Lire ce n’est pas consommer. Mais je reconnais que l’histoire ne m’a pas spécialement mis le cul par terre et que je n’en garderais pas un souvenir vivace.
Post-scriptum 1 : cimer hein, je ne suis même pas citée dans les remerciements à la fin. Aurore Py, tu voulais être exhaustive, bah tu t’es plantée ! Je ne te pardonnerai jamais. Ja-mais.
*Ahava est intimement convaincue que le monde tourne autour d’elle et que d’ailleurs, elle est l’élue, et qu’un jour (mais pas demain parce que demain, elle regarde Netflix) elle changera la face du monde. #MarkMyWords
Post-scriptum 2 : J’ai grandi entre Bischheim, Souffelweyersheim, Hœnheim et Schiltigheim. Alors rien que pour ça, cœurs sur Aurore Py et son Art de vieillir sans déranger les jeunes.
Si tu es gérontophile ou contrebandier de naphtaline, si tu adores Aurore Py ou que tu es tout simplement fan de mwah (ça arrive, je ne juge pas), si encore tu aimes le jus de choucroute, surtout fais-toi plaisir:
Dans ce roman à la fois drôlissime et tendre, souvent émouvant, Aurore Py nous emmène dans un lieu auquel on évite en général de penser, un EHPAD (comprenez Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes). On y rencontre Adèle, qui nous raconte son histoire.
http://www.editionsdelaube.fr